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Discussion avec David Bitton

La prise de parole en public pour les dirigeants

6 minutes de lecture | Diplômé de Neoma, David Bitton démarre sa carrière dans la communication chez RSCG. Il devient ensuite Vice-président international de Kid Cool (chaîne de Franchise de 300 points de vente en Europe) avant de racheter en 1993 la société Com6 (CRM multicanal), dont il devient PDG et qu’il fait entrer en bourse en 2000. En 2003, David Bitton décide de créer DB&A pour accompagner les collaborateurs ou managers de grandes entreprises dans leur communication orale et comportementale (L’Oreal, Galeries Lafayette, Sanofi Aventis, Eurazeo, Caisse d’Epargne, Fnac etc….).

"La problématique qui revient souvent, c'est le trac."

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Qu’est-ce qui vous a décidé à faire ce métier ? Comment vous en êtes arrivé à cette profession ?

C’était une évidence en réalité. L’idée était d’enfin faire rejoindre mes deux vies. Une première vie en entreprise dans l’univers de la communication et de l’entrepreneuriat ; j’ai d’ailleurs coutume de dire que j’aurais pu être très riche sans l’éclatement de la bulle internet en 2001 puisqu’une de mes sociétés était cotée au nouveau marché alors. Ma deuxième vie a été celle de l’homme de théâtre, en tant qu’acteur, auteur et metteur en scène ; cette face-ci était dissimulée derrière un nom de scène pour marquer une différence avec le chef d’entreprise. J’ai sept pièces à mon actif qui ont eu pas mal de succès, notamment Court sucré ou Long sans sucre (300 000 entrées). A l’aube de mes 40 ans, j’ai commencé à réfléchir à la possibilité d’unifier ces univers parallèles, le monde de l’entreprise et celui du théâtre.

Assez naturellement et assez rapidement, je me suis orienté vers le coaching en communication orale, ce qui faisait sens du point de vue de mon parcours et de mon aisance dans les sujets relatifs à la communication. A l’époque, je m’étais déjà exercé à l’art de la persuasion, lors de mes roadshows européens dans le cadre du développement de ma start-up.

Parallèlement j’ai commencé à intervenir en tant que coach auprès de dirigeants assez connus, pour travailler sur leur prise de parole et leur communication orale. J’ai la chance d’avoir une assez bonne compréhension de leur réalité, de ce monde des entreprises cotées. Car en réalité, même si Je l’ai vécu à l’échelle d’une start-up, une introduction en bourse m’a fait côtoyer des problématiques similaires à celles qu’ont les dirigeants des très grands groupes (commissaires aux comptes, audits fiscaux/juridiques/sociaux, etc.).

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Quels conseils pouvez-vous donner à un dirigeant qui va être amené à apparaître et s’exprimer en public régulièrement ?

La problématique qui revient bien souvent, c’est le trac. Avant toute chose, il est nécessaire de reconnaître le trac comme un phénomène normal quelle que soit la situation : lors d’une communication orale en public, lors d’une prise de poste, lorsque l’on rejoint les bancs d’un Comex, etc. Dans n’importe quel moment finalement, où l’on est amené à changer de posture et à communiquer différemment. Vous avez d’ailleurs un mot célèbre de Sarah Bernard qui, lorsqu’ une élève lui dit « moi quand j’arrive sur scène, je n’ai pas le trac », répond « ne vous inquiétez pas, cela viendra avec le talent ». Mon conseil est donc de ne pas renier cette émotion et de l’accepter comme un ressenti humain tout à fait naturel. Une fois le trac accepté, vous serez en mesure de travailler dessus et d’apprendre à le gérer. Il faut savoir que l’art oratoire n’est pas inné ; d’ailleurs « un don sans travail est une imposture » disait Louis Jouvet.

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A quoi est dû le trac ? Quelles sont les raisons qui expliquent ce phénomène ?

La culture française repose énormément sur une culture écrite et une approche logique- qui nous vient de Descartes- et qui introduit dans notre manière de penser une relation de cause à effet. Si cela peut être très structurant pour un mode écrit, c’est bien moins efficace à l’oral. C’est de là qu’émergent souvent les difficultés.

Les présentations effectuées en réunion à partir d’un document support, démontrent en général une réflexion cartésienne et parfaitement menée. Elles introduisent un contexte, à partir duquel le présentateur a tiré un certain nombre de conclusions, fixé des objectifs, des moyens et une stratégie. Or, lorsque l’on arrive à un certain poste, la communication descriptive ne suffit plus pour inspirer et convaincre. La difficulté vient vraiment d’un changement de mode de formulation, du passage de la communication écrite à une communication orale. Il faut donc adopter une technique de préparation orale qui est différente de celle qui a été apprise pour l’écrit. Et cela se travaille.

Aux USA, vous pouvez choisir dans le cadre des études universitaires un semestre dédié à la prise de parole en public.  Malheureusement en France, de tels enseignements n’existent pas et les concernés sont tenus de faire intervenir des cabinets privés comme le nôtre pour s’éduquer. DB&A est par exemple certifiée par Harvard et on voit bien qu’il y a quelques ingrédients théoriques de communication que l’on peut assimiler et qui sont les clefs d’une bonne prise de parole.

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Quelles sont en général les premières appréhensions des personnes que vous accompagnez dans le cadre d’une prise de parole à venir ?

Le premier des blocages à dépasser encore une fois c’est le trac, peu, nié ou mal traité. Dans la mesure où le trac s’entend dans la voix, il peut bien souvent trahir un manque d’assurance. Tout part du souffle car le trac se matérialise dans la respiration. Je travaille donc sur une respiration abdominale, qui va permettre de se repositionner physiquement et de mieux replacer sa voix.

Cette préparation physique s’intègre néanmoins aussi à une préparation mentale – un peu comme pour un sportif – que l’on appelle le switch mental. Donc on va travailler comme le ferait un comédien, sur une image qui va aider la personne à se visualiser dans un bon état pour prendre la parole. Un bon discours requiert beaucoup énergie, parce qu’un effort important de concentration est à fournir. L’orateur a pour devoir de se mettre en condition et d’être présent à 100%. Cet état de présence doit être réalisé en pleine conscience et en temps réel.

Mais pour cela, il faut aussi se détacher de ce que l’on appelle le réflexe d’auteur. L’orateur a tendance à être dans un réflexe d’auteur, alors qu’il devrait être dans un réflexe d’acteur. L’auteur c’est celui qui a préparé, l’acteur c’est celui qui délivre. Souvent, il y a une lutte inconsciente entre l’auteur qui dit « sois exhaustif, fais attention » et l’acteur qui devrait le dire. C’est à ce moment-là en général qu’il y a une présence qui n’est pas complète. Pour assurer cette présence, la technique de préparation va permettre à l’orateur d’avoir une construction orale et donc d’être acteur de son texte parce qu’il sait l’histoire qu’il veut raconter.

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Cela suppose aussi finalement d’avoir un discours finement préparé ? L’assurance que l’on peut avoir dans le verbal, l’énergie que l’on peut déployer, les messages que l’on veut faire passer, viennent comme vous l’avez dit d’une préparation de l’histoire et du contenu en tant que tel.

Il y a un contresens qui se fait parfois lorsque l’on travaille la prise de parole. Une ancienne théorie, appelée la théorie de Mehrabian, postule que 93% de l’impact du message est non verbal lorsque 7% vient par les mots. Le contresens usuel conclut que ce je dis n’a pas beaucoup d’importance, ce qui a de l’importance, c’est la manière dont je le dis. Pour nous, tout au contraire, comme il y a peu de place mémorielle pour les mots et donc le fond du discours, il faut absolument se préparer et réaliser un effort important de synthèse et de storytelling.

Travailler son pitch est essentiel et c’est aussi sur cette dimension que nous accompagnons nos clients. On a par exemple collaboré avec Gina Bernet (la coach qui a lancé les premiers TED). Pour vous donner un exemple, certains scripts de TED qui durent 18 minutes ont nécessité 40 versions différentes. Cela vous donne une idée du travail à fournir pour donner cette impression de naturel et de fluidité. Mais c’est aussi pour cela que ces vidéos TED accumulent des millions de vues. De Gaulle a dit d’ailleurs quelque chose de formidable : « Il faut 5 minutes pour préparer un discours de 5 heures, il faut 5 heures pour préparer un discours de 5 minutes. »

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En parlant de cela, est-ce que vous accompagnez des start-up sur la dimension pitch ? Historiquement, nous avons beaucoup travaillé pour les métiers du conseil en stratégie d’où sortent énormément d’entrepreneurs mais ils n’ont pas toujours les moyens financiers de se faire coacher au démarrage de leur aventure.

Oui cela se fait assez naturellement par le bouche à oreille. Mais de façon générale, je coache plutôt des managers ou des dirigeants. Mais j’ai eu quelques cas en start-up. Il y a bien une question de moyens, mais bien souvent, c’est surtout je dirais une question d’envie, de conscience de l’impact que cela pourrait avoir. En général, les fondateurs de start-ups savent faire des belles présentations et ont parfois l’impression que l’esthétique de la présentation suffit à convaincre. Travailler la dimension orale permet à mon avis de vraiment faire la différence.

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Sur le pitch, avez-vous des lectures à conseiller ?

J’ai un ami, Eric Salomon, qui vient de la communication, de la publicité et qui a eu un coup de cœur pour les techniques de prise de parole que nous avions pu partager.  Aujourd’hui, il a développé une expertise particulière et même écrit un livre qui s’appelle Winning Pitch, dans lequel il introduit sa propre méthode. Ce livre me semble particulièrement inspirant pour des fondateurs de start-up.

Savoir faire de belles présentations donne l’impression que l’esthétique de la présentation suffit à convaincre. Travailler la dimension orale permet à mon avis de vraiment faire la différence.

David Bitton

Fondateur DB&A

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Nous avons l’impression que les gens n’ont pas conscience des différentes options qui peuvent se présenter à eux, s’ils veulent perfectionner leur capacité à prendre la parole en public. Quels sont les différents niveaux d’accompagnement possibles sur ces sujets ?

En fait, il y a plusieurs manières de faire, mais dans la pratique ce que nous proposons le plus, ce sont des coachings individuels.

  • Soit c’est un coaching flash sur une présentation à enjeu, dans un format de deux fois 2 heures. On se concentre sur une situation très précise. J’accompagne par exemple des architectes sur de grands projets, tels que « Réinventer Paris 1 et 2 ». Typiquement, sur ce type de cas, nous avons un pitch à préparer et à présenter, avec des objectifs clairs. Et donc en deux fois deux heures finalement, un premier niveau d’amélioration et des premiers effets observables sont atteints. Cela casse finalement les idées reçues vis-à-vis de ce type d’accompagnements qui peuvent très facilement s’insérer dans des agendas chargés.
  • Si nos clients disposent d’un peu plus de temps, nous proposons une première étape d’une demi journée d’immersion avec vidéo avant 2 ou 3 séances de coaching.

Tout cela a un certain coût, mais c’est aussi un investissement qui reste à vie. Ces formats légers permettent de franchir un premier palier, d’être à l’aise et de se sentir légitime.

L’autre option consiste à faire des formations en équipe pendant 2 jours , avec un double intérêt lié à la dynamique de groupe et l’effet collatéral de cohésion d’équipe qui en ressort.
Nos formations trouvent leur efficacité en se focalisant sur l’individu concerné et en proposant un service sur-mesure. D’ailleurs, beaucoup de dirigeants sollicitent leur entreprise pour financer ce type de formation.

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Dans l’entreprise, les dirigeants sont-ils toujours à l’initiative de ces formations ?

Les demandes viennent indistinctement de dirigeants, de DRH ou de directeurs de la communication. Certaines personnes à hautes responsabilités et coutumières des prises de parole en public, n’ont pas toujours l’impression qu’il y ait un intérêt à travailler ces sujets. Mais dans les faits, il y a toujours une marge d’amélioration. Donc il m’arrive parfois de rencontrer des personnes qui ne sont pas très convaincues de l’accompagnement que je peux leur apporter lors de la première session. Mais ces dirigeants repartent en général plutôt satisfaits ; la rhétorique, l’approche stratégique du discours peu très vite devenir un exercice passionnant lorsque l’on commence à s’y intéresser.

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Vous proposez donc des programmes de perfectionnement pour des gens qui sont déjà à l’aise dans cet exercice ?

Qu’il y ait des bases ou pas, tout est très individualisé. J’ai accompagné des dirigeants connus, qui étaient déjà d’excellents communicants. Moi-même surpris de leur aisance à l’oral, je sentais que je n’avais pas énormément à leur apporter en termes de confort. Mais nous avons tout de même travaillé ensemble en allant chercher une notion de plaisir qui allait emporter encore plus la parole. Cela consiste à aller potentialiser les forces déjà existantes de l’orateur, pour les mettre en valeur et lui garantir un plaisir qui embarque tout le monde. Cela devient in fine une véritable spirale positive.

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Est-ce que ce n’est pas difficile comme métier ? Après tout, ce sont aussi des sujets qui touchent à l’ego, à la représentation de soi-même, à la confiance en soi.

Notre troupe de 12 consultants appréhende bien les enjeux de nos interlocuteurs, du fait de leur formation ESSEC, Centrale, Ingénieurs, etc.) et nous sommes tous comédiens. Par-dessus cette première base solide, nous sommes tous certifiés par Centrale Paris en psychologie positive, dans le leadership positif. C’est ce qui nous permet d’aborder sereinement ces différents aspects d’une personne. Nous travaillons à partir de techniques démontrées de la psychologie positive (la résilience, les forces, l’énergie, etc.), ce qui nous donne les bons outils pour accompagner, pour mettre en confiance, pour rentrer dans une dynamique et pour régler ce problème d’égo, de représentation de soi qui sont des sujets sensibles. Prendre la parole, c’est prendre sa place.

Notre pédagogie s’appuie sur ce qui fonctionne plutôt bien pour capitaliser dessus et faire progresser l’orateur. Cela apporte naturellement beaucoup de résultats. Dès l’instant où l’on se sent en confiance avec ce que l’on dit, où l’on estime avoir des choses intéressantes à communiquer – et que l’on a trouvé la manière de le dire pour s’approprier un message -, comme par hasard, tout se met en place naturellement et le corps est plus en mouvement, la voix se place mieux … Une dynamique positive d’apprentissage permet de toucher du doigt la possibilité de réussir dans ces prises de parole.

L’enjeu surtout c’est de créer un discours qui soit impactant, saillant, mais aussi qui nous ressemble. Il faut que l’on incarne ce qu’on vient de dire.

 

Cependant certains accompagnements impliquent de travailler certains blocages d’ordre psychologique. Il s’agit bien souvent d’inhibitions qui nous viennent de l’éducation, de la culture, qu’il faut identifier pour mieux les comprendre et mieux les contourner. En cas de blocage, on a la possibilité de travailler sur plusieurs séances afin de consacrer la première séance à la définition des objectifs et à l’identification des problèmes de l’orateur.

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Est-ce que vous croyez que faire une présentation dans une langue étrangère pour la première fois, doit s’accompagner de reflexes à acquérir ? Cela demande-t-il une préparation particulière ?

Certains aspects culturels sont en effet à prendre en compte dans certains cas. Par exemple, les Japonais ferment les yeux quand ils apprécient une présentation ce qui peut être particulièrement troublant pour l’orateur.

De manière générale, la méthode reste la même si ce n’est que nous incorporons quelques éléments supplémentaires, quelques petites techniques. Nous avons récemment créé une filiale qui s’appelle « Brian and Taylor » (Brian is in the kitchen et my Taylor is rich). Adrien et Mélanie sont franco-américains et grâce à eux, nous proposons un accompagnement et quelques astuces de pouvoir jouer avec les aspects bi-culturels. Donc au-delà de l’aisance linguistique, nous apportons les clefs de l’aisance culturelle. Cela permet aussi de s’ouvrir et de lâcher un peu ce à quoi le français nous cantonne. Le sujet n’est pas dans l’accent. Le sujet dans la conviction que l’on peut mettre, la façon dont on assume son discours et sa posture dans une autre langue.

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