Maïa Metz, Fondatrice de Noé
J’ai fait HEC, j’ai travaillé dans un SaaS à San Fransisco puis, à mon retour en France, j’ai travaillé un an en tant que Product Manager chez Blablacar. J’ai ensuite intégré Aircall où j’ai construit l’équipe produit et j’ai recruté une quinzaine de Product Managers et de designers. L’an dernier, j’ai quitté Aircall pour créer Noé, formation pour devenir Product Manager.
Mon premier job était dans une petite startup à San Francisco, c’était plutôt par opportunité car je souhaitais avoir une expérience à l’étranger et la vie est plutôt agréable en Californie. C’est comme cela que j’ai découvert le monde de la tech, et j’ai adoré cet écosystème. Comme l’entreprise était très « early stage », j’ai travaillé sur des tâches très variées, notamment du marketing, des relations clients, et un petit peu de produit. J’ai adoré la dimension produit et je me suis rendue compte que c’était ce que je voulais faire. En rentrant à Paris, j’ai ciblé Blablacar qui avait une très bonne culture produit, alors que, de manière globale, en France nous étions et nous sommes toujours en retard sur le sujet.
Nous avons environ cinq années de retard par rapport à la Silicon Valley, notamment dans la définition du rôle et du poids de l’équipe produit dans une entreprise tech, et dans la définition du rôle du Product Manager. Très longtemps, Product Manager impliquait uniquement de faire de la gestion de projets entre différentes équipes. La véritable définition de ce rôle est plutôt d’élaborer la stratégie du produit de l’entreprise et prioriser des chantiers dans un but d’amélioration de KPI purement business. Après, il y a une partie que l’on appelle « delivery » où, au quotidien, le Product Manager fait notamment de la gestion de projets. En France, historiquement, cette dernière partie du rôle prend 80/90% du temps, alors que ce qu’il faut viser serait plutôt 30%.
Cela peut s’expliquer par le manque de culture tech, et une confusion avec le rôle de chef de produit qui n’est pas le même métier et qui a plutôt un rôle Marketing. En France, on s’est enfermés dans une certaine déresponsabilisation des développeurs. J’ai vu des changements par rapport à cela ces dernières années en France mais nous avons encore du progrès à faire.
Ce problème peut être résolu par l’implication des développeurs en amont, en ne faisant pas d’eux de simples exécutants. L’idée est que les développeurs aient plus d’ownership et soient capables de prendre des décisions sur certaines fonctionnalités. Il faut qu’ils échangent avec des utilisateurs, comprennent les problèmes, pour pouvoir prendre des meilleures décisions techniques et avancer plus vite par la suite.
Il faut avant tout un état d’esprit « engineering », ce qui ne veut pas dire avoir fait des études d’ingénieur mais qui implique une approche très structurée, très rigoureuse, presque « mathématique » des problèmes. En tant que Product Manager, on reçoit des centaines d’inputs de plusieurs sources différentes (la data, les utilisateurs, les équipes business, la concurrence …), il faut les récolter, les comprendre, les catégoriser, les prioriser et réfléchir à des solutions.
Il faut également avoir un bon équilibre entre assertivité et humilité. Les Product Manager doivent pouvoir être leader sur des projets et fédérer, sans être experts. Il faut savoir se remettre en question si nécessaire.
Aujourd’hui, les parcours des Product Manager sont répartis de manière équilibrée entre profils business et profils ingénieurs. Quand on a un profil business, il faut être curieux, s’intéresser au monde de la tech, discuter avec des développeurs, connaître les langages et les grands concepts. Quand on a un profil ingénieur, il faut avoir une appétence pour les enjeux commerciaux.
C’est vrai que le métier était très peu connu il y a quelques années, alors qu’aujourd’hui il attire énormément. C’est un métier passionnant. Dans le cadre d’entreprises technologiques, le produit va souvent être clé et « make or break a company ». Donc concevoir le produit est passionnant. C’est aussi un métier qui permet d’être exposé à des équipes très différentes et d’être un « caméléon », ce qui est très stimulant intellectuellement. Il n’y a pas de journée type, les Product Managers ont des tâches très variées, c’est un métier qui plaît aux personnes qui ont tendance à s’ennuyer rapidement. Enfin, c’est un métier qui permet de faire une gymnastique intellectuelle quotidienne entre les petits détails et la stratégie, la vue d’ensemble.
Il y a beaucoup de similitudes entre le métier de Product Manager et le métier de chef de produit dans les grandes entreprises, mais la différence majeure est le temps d’exécution. Les cycles de production peuvent être d’une journée au lieu de plusieurs années, c’est très stimulant, et le mindset est très différent.
Dans l’approche, les chefs de produit font souvent partie des équipes marketing, là où les Product Managers sont intégrés aux équipes tech.
Enfin, être Product Manager, implique de comprendre et résoudre des problèmes, alors qu’être chef de produit, dans certains groupes, comme L’Oréal, relève plutôt d’inventer des concepts qui vont séduire les gens.
Quand j’étais chez Aircall et que je devais recruter, je ne trouvais pas les bonnes personnes pour rejoindre l’équipe. Je discutais avec d’autres VP Product qui avaient le même problème. Personnellement, j’ai eu la chance d’apprendre sur le tas, mais ce n’est pas un métier sur lequel on peut facilement être formé aujourd’hui. Pour donner des cours de produit à HEC, je sais que cela se limite à de l’initiation, c’est uniquement pour une petite partie de la majeure « entrepreneurs », et cela arrive seulement en dernière année. HEC réfléchit d’ailleurs à mettre du Product Management plus tôt dans le cursus, mais, pour le moment, cela n’existe pas. Alors que, sur les sujets marketing et sales par exemple, il y a des cours dédiés en école de commerce, même sur des sujets techniques.
Dans un contexte d’urgence, les entreprises n’ont pas le temps de prendre six à douze mois pour faire monter en compétence des collaborateurs sur le métier. L’enjeu est d’aller vite et de trouver des profils opérationnels tout de suite, qui ont déjà travaillé sur des missions similaires avant, et il y en a peu. Avec Noé, l’idée est de briser ce cercle vicieux.
On apprend quelques hard skills, notamment sur la partie data – pour pouvoir travailler sans forcément avoir de data analyst dans l’organisation –, sur la partie tech, l’idée étant de comprendre les grands concepts, jouer avec les API et pouvoir avoir une discussion avec un développeur, et sur le design.
L’essence de la formation est d’appréhender les grandes méthodologies. La première semaine aborde la stratégie, comment faire pour comprendre le business model de l’entreprise, les KPI, et comment cela va impacter la roadmap, la stratégie et les objectifs produit. La deuxième semaine a pour objectif de comprendre comment disséquer un problème, avec des enjeux data, recherche utilisateurs, priorisation et bases de la tech. La troisième semaine se concentre sur comment designer une solution, la faire tester et faire des itérations. Enfin, la quatrième semaine est dédiée à l’impact, comment communiquer avec les différents interlocuteurs et préparer ses entretiens.
Pendant ces quatre semaines, les personnes travaillent en fil rouge pour des startups partenaires – actuellement, il s’agit de Doctolib, GetAround et Stuart par exemple – et, à la fin de la formation, elles présentent leurs résultats au CPO de l’entreprise.
Tous les éléments qui font partie de la formation peuvent être retrouvés dans des métiers très différents. Par exemple, avoir fait beaucoup de data, avoir codé, avoir travaillé sur des stratégies d’acquisition marketing, peut aider. Il n’y a pas de parcours type.
Cela dépend aussi du type d’entreprise que les personnes souhaitent rejoindre. Si les personnes rejoignent une startup early stage qui n’a pas encore d’équipe produit, un parcours business ou une création d’entreprise par exemple sera valorisé. A l’inverse, si les personnes rejoignent une structure comme Algolia, déjà constituée de plusieurs centaines de personnes, avec des profils très tech, un produit et un marché définis, avoir un background plus technique sera un avantage.
Le premier conseil serait de ne pas chercher le mouton à 5 pattes. C’est un métier où il y a énormément de dimensions différentes, et il ne faut pas chercher à recruter quelqu’un qui excelle sur toutes ces dimensions en même temps.
Le deuxième conseil serait d’investir sur des gens plus juniors, plutôt que de payer le prix fort pour des profils seniors plus difficiles à trouver, qui vont avoir des manières différentes d’appréhender le métier et ne seront pas toujours compatibles en termes de culture et de méthodologie.
Il y a ensuite des conseils valables de manière générale. Il faut être très clair sur les éléments à évaluer et la manière de les évaluer. Bannir le terme « fit » des processus de recrutement, qui cache parfois des réalités très différentes et des attentes très différentes selon les personnes et les organisations, et qui conduit souvent à recruter des personnes similaires et à avoir peu de diversité dans l’entreprise. Il faut réaliser un recrutement sur des critères objectifs.
La plus grande tendance pour moi est le changement des responsabilités sur la phase de delivery. La tech sera impliquée beaucoup plus en amont et prendra des initiatives sur cette phase-là.